2 200 ordinateurs ont été entreposés dans une grange pendant 23 ans. Et le propriétaire les a vendus sur eBay pour moins de 100 euros pièce

Ce stock oublié résume une bascule entre mémoire technique et marché patient, sans posture ni folklore

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L’histoire tient dans un souffle, mais elle raconte une époque entière. Dans une grange du Massachusetts, plus de 2 200 machines NABU, fabriquées en 1983, ont dormi vingt-trois ans avant de ressurgir en ventes éclairs. Le propriétaire, James Pellegrini, les cède sous la barre symbolique des 100 euros. Le passé fascine parce qu’il fonctionne encore : des ordinateurs presque neufs, une promesse d’Internet avant l’heure, et une communauté prête à rallumer l’étincelle.

Dans la grange, des ordinateurs au destin suspendu

Le stock NABU tenait au second étage d’une grange fatiguée, affirme jeuxvideo.com. L’ensemble pesait près de 22 tonnes, signe d’un trésor, mais aussi d’un risque pour la structure. Pellegrini l’avait acquis entre la fin des années 1980 et 1990 pour un réseau d’entreprises. Le projet n’a pas démarré, pourtant les machines sont restées intactes.

La scène condense l’ingéniosité et l’attente. Les unités, rangées par piles, semblaient figées dans un atelier à ciel clos. La grange a montré des signes d’alerte, poussant à agir. Le lieu retenait la poussière, mais pas la valeur. Chaque boîtier incarnait une tentative d’Internet câblé à domicile, en avance sur son temps.

Le journal de Pellegrini éclaire l’effort physique réel. Il raconte des allers-retours, boîtes glissées, camion rempli après soixante-dix séquences. Cindy envoyait les cartons ; lui les chargeait sans relâche. Ces ordinateurs attendaient une seconde vie et, surtout, un canal pour la trouver.

Comment ces ordinateurs ont retrouvé des mains expertes

La première étape fut discrète : Craigslist, 20 dollars l’unité, presque sans écho. Vint eBay, à 59,99 dollars, puis 99,99 dollars. En quelques jours, près d’un quart est parti. La psychologie du prix jouait avec l’aura « relique ». Le tarif restait sous 100 euros, seuil psychologique qui élargit l’audience.

Le bouche-à-oreille a fait le reste. Les photos montraient des machines nettes, l’architecture intrigante, et une histoire claire. Les enchères n’étaient pas nécessaires : la rareté dictait la vitesse. Les colis filaient, tandis que la grange se vidait. Le stock a fini par disparaître du marché, preuve d’un appétit bien réel.

La communauté s’est soudée autour d’un but simple : remettre en marche, documenter, partager. Les tutoriels ont afflué. Les forums ont compilé schémas, câblages, firmwares. Chaque acheteur devenait gardien. Les ordinateurs trouvaient un futur par la pratique.

De la plate-forme oubliée à l’usage présent

L’attrait technique tenait au processeur Z80 et à une parenté MSX. Les développeurs voyaient un terrain clair et réparable. Le NABU offrait un cadre cohérent pour coder, tester, publier. L’écosystème s’est ranimé sans emphase, grâce à des outils ouverts et des pas-à-pas précis, reproductibles, et bien versionnés.

L’adaptateur réseau, relancé avec l’aide de l’université York, a été décisif. Il a permis une connexion simple au « RetroNET ». Les services historiques ont repris forme : jeux, éducation, informations, échanges. Les émulations via MAME ont élargi l’accès. Du matériel d’origine ou un PC suffisaient.

Pour l’acheteur, la feuille de route restait claire. Vérifier l’alimentation, assurer le signal vidéo, flasher l’adaptateur, rejoindre le réseau. Le reste suivait par petites victoires. Les ordinateurs devenaient des plateformes d’apprentissage concrètes : patience, méthode, esprit d’équipe.

NABU, un réseau d’avance et des freins puissants

Lancé en 1983 au Canada puis aux États-Unis, le service NABU utilisait le câble pour un accès bidirectionnel. Tom Wheeler, futur patron de la FCC sous Obama, a porté l’expansion américaine. Il s’est heurté aux opérateurs, peu enclins à ouvrir leurs tuyaux. L’initiative a duré environ un an, trop courte pour s’imposer.

John Kelly avait imaginé un outil de travail, relié à des centraux, à faible coût. L’idée a basculé vers le grand public. Pour créer l’usage, il a misé sur des jeunes passionnés pour développer des jeux. NABU proposait aussi forums, info, éducation, et cours de programmation. Le tout sonne comme un pré-Internet haut débit.

Le défaut restait structurel : la télévision par câble diffusait surtout à sens unique. NABU exigeait du retour. L’écart technique et économique pesait. Les ordinateurs propriétaires donnaient accès à des contenus à la demande.

Coulisses, cultures et trajectoires personnelles imbriquées

Andrew King, historien à Ottawa, décrit des excès en interne. Il cite une consommation de cocaïne chez certains cadres et une stratégie marketing hasardeuse autour du dessinateur Johnny Hart. Le magicien Doug Henning a même prêté son image aux publicités imprimées.

Pendant ce temps, la trajectoire de Pellegrini suivait une ligne modeste. Il voulait un système téléphonique pour petites entreprises. Rien n’a abouti. Les unités ont fini dans des box de stockage. Le poids a menacé la grange. Le temps a figé le projet.

En 2021, Pellegrini a cédé son stock à un collectionneur. L’élan s’est poursuivi en ligne. D’autres lots ont circulé. Des guides ont fleuri. Les ordinateurs ne survivent pas par miracle : ils survivent par usage.

Ce que cette histoire change pour la mémoire numérique

La grange raconte moins la nostalgie que la valeur d’un écosystème. Les NABU renaissent parce qu’une communauté coordonne, teste et partage. Les prix d’eBay ont servi d’étincelle, pas de fin. Le patrimoine vit quand on le branche. Les ordinateurs deviennent des lieux d’expérience, utiles, concrets, et transmis sans folklore inutile. Transmettre, c’est remettre en marche, sans bruit, avec méthode.

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