Il a tenu quand le vacarme couvrait tout, puis il a choisi de changer de cap. Dix ans après la nuit du Bataclan, Jeoffrey avance sans bruit, loin des projecteurs. Il a laissé l’uniforme derrière lui, a pris la route d’un nouveau métier, et regarde le chantier d’une autre vie. Sur un autre continent, il reconstruit à son rythme, avec une énergie simple qui raconte une promesse : rester debout.
De la patrouille à l’enfer du Bataclan
En patrouille ce soir-là, il entend les appels radio et fonce au commissariat, raconte leparisien.fr. Il prend un pistolet-mitrailleur, remonte en voiture et file vers la salle de concert visée. Avec son équipage, il arrive parmi les premiers sur place, tandis qu’un autre véhicule se positionne juste en face.
Les rafales frappent les agents de sécurité et les assaillants se ruent à l’intérieur, juste à l’entrée du Bataclan. Le bruit est sourd et la peur serre les corps. L’urgence exige une action disciplinée qui fait progresser l’intervention et maintient la ligne avec détermination.
Sans casque, seulement des gilets pare-balles, ils se font une promesse claire. On y va ensemble, on en revient ensemble. Le commissaire rejoint l’équipe, demande d’écrire aux proches. Il envoie : « Ne t’inquiète pas, ça va ». Puis, il reprend sa place, droit face au danger.
Méthodes d’évacuation sous le feu
Positionné près de la porte, il sécurise le passage. Il hurle aux passants de s’éloigner, car aucun périmètre n’est encore établi. Un homme titube et sort, il le guide vers un hall, à l’abri. Il retourne aussitôt vers l’entrée, répétant les allers-retours sans calculer sa fatigue, ni le temps.
Ils font corps, littéralement, pour couvrir chaque course fragile. Ils s’interposent et déplacent les rescapés, à la chaîne, depuis l’entrée du Bataclan jusqu’à l’abri improvisé. Des barrières Vauban deviennent des brancards efficaces, pratiques. Le geste reste sobre et efficace en assurant la prise en charge et la transmission aux secours avant de repartir.
Un homme lui murmure que sa femme est encore dedans, et la décrit avec précision. Il la retrouve vivante et la remet aux pompiers, soulagé. Quand il ressort, le mari est décédé. Cette image s’ancre longtemps en lui, tandis que d’autres, crus sauvés, finissent alignés sous un drap blanc.
Après l’intervention : retour rapide et choc latent
La BRI arrive et l’accès s’ouvre pour tenter encore des sauvetages. Dans la fosse de la salle du Bataclan, il voit des étudiantes mortes et des téléphones qui sonnent. Sur l’écran s’affichent maman, papa. Son cerveau pose un voile, ne gardant que des odeurs de sang et un sol visqueux.
À 6 h 30, l’intervention s’achève enfin. Il retourne au commissariat et entame aussitôt un traitement médical, après un contact prolongé avec le sang des victimes. Deux jours plus tard, il repart sur le terrain. Avancer encore lui semble le seul remède réel, tenace, nécessaire, vital, désormais.
Une verbalisation pour stationnement dégénère, un homme l’insulte sans retenue. Ce décalage le heurte, après une nuit qui a marqué tout le pays. Il perçoit la part ingrate du métier, avec acuité. Il reçoit la médaille d’or de la sécurité intérieure, mais la reconnaissance ne comble pas la fissure intérieure.
Gilets jaunes, lourdeurs et la décision de partir
En 2018, il enchaîne avec la sécurisation lors du mouvement des Gilets jaunes, à Paris. Les projectiles pleuvent, des pierres frappent sans raison. Il sert encore, malgré l’usure, avec une discipline intacte. Le soir, les groupes WhatsApp vibrent, même en repos, pour répondre et aider sur des procédures en cours.
Il travaille à toute heure, rentre tard, donne des informations utiles aux collègues. L’ingratitude ressentie pèse, chaque jour, davantage. Elle s’ajoute au décalage déjà né après la nuit du Bataclan. Un jour, il rattrape un voleur, mais son chef lui demande d’expliquer par écrit pourquoi il a été flashé.
Ce détail devient la goutte de trop. Après tout ce qu’il a donné et vu, la lourdeur administrative finit par l’user profondément. Il décide d’arrêter là, sans détour. Le lendemain, il quitte le service, avec la sensation nette qu’une page doit se tourner pour de bon.
Nouvelle vie, BTP au Canada et traces du Bataclan
Il part avec sa compagne, fait les démarches, et atterrit fin 2020 au Canada. Presque cinq ans plus tard, il s’épanouit dans la rénovation, sur des chantiers concrets. Il a 37 ans, a été salarié, puis se lance : il crée sa société de BTP. Début septembre, il démissionne officiellement.
Cette vie nouvelle paie mieux et rend du temps. Il le consacre à ses enfants, Isao et Ilona, et entraîne une équipe d’ados au football. Il dit se sentir considéré et préfère la cadence régulière des travaux, où l’effort se voit, et où la journée s’achève à une heure stable.
Longtemps, il n’a pas su nommer l’impact de la nuit du Bataclan. Son esprit a effacé des images, comme pour le protéger. Désormais, il sait en parler. Quand ses enfants auront l’âge, il leur expliquera cette part de son histoire. Il le fera sans bruit, avec des mots simples.
Ce que la résilience change quand on reprend souffle loin du terrain
Rien n’efface, tout transforme. Jeoffrey n’a pas cherché l’oubli : il a choisi un autre cadre, un autre rythme, pour tenir droit. À distance, il mesure ce qui compte : la présence, le travail utile, la parole qui revient sans violence. Il garde le fil avec les siens, transmet sur les terrains, et construit au présent. Dans ce mouvement, le souvenir du Bataclan ne le fige plus, il devient un repère pour avancer autrement.